Quand j'ai emménagé chez moi, y avait une horloge.
Une horloge qui n'avait pas de piles, et que je n'ai jamais pris le temps de réparer. Une horloge
qui est réglé sur cinq heures, vingt-trois minutes, et vingt secondes. Mal réglé d'ailleurs,
l'aiguille des heures est légèrement trop loin. Et y a un dicton qui me fascine qui dit "Une horloge
cassée donne la bonne heure deux fois par jour". Ça me fascine déjà parce que c'est un dicton très
rigolo, soyons honnêtes, c'est très drôle. Et ça me f
ascine encore aujourd'hui autrement parce que
ça m'arrive de voir cette horloge donnant la bonne heure, par pur hasard. Que ça soit au lever ou
juste avant d'aller me coucher, et d'ailleurs souvent au milieu de l'après-midi, c'est toujours
un petit moment de doute, où je dois vérifier plusieurs fois ce qui arrive. Alors évidemment
je passe probablement cent fois par semaine devant cette horloge sans qu'elle soit à la bonne
heure, mais c'est ce passage unique sur cent qui me questionne. Parc
e que c'est une sorte de moment
hors du temps, ce qui est marrant vu que c'est une horloge, et j'arrive pas à comprendre ces émotions
qui viennent. De la fierté, de la joie, du rire, ou juste des simples réflexions, du genre... cette
vidéo... Ça va faire maintenant presque 10 ans que je fais du montage et ce genre de hasards qui
tombent juste m'arrivent tout le temps. Enfin, non, parfois je dois corriger, mais les 1% de
fois où ça m'arrive, je les garde en mémoire, je m'en souviens et d'ail
leurs ça donne souvent le
ton sur le reste, comme si j'écrivais de manière automatique et qu'ensuite je donnais le sens
derrière. Ça peut être le drop d'une musique qui tombe pile au bon moment avec la vidéo, la
voix qui appuie les propos de la vidéo d'une manière qu'on n'avait pas nécessairement prévu,
une coupe qui est bonne du premier coup ou deux vidéos qui se lient parfaitement bien. Le montage
est une activité fascinante à ce niveau-là, on pense que tout est fait à l'image près, mais
parfois, y a quelques coupes faites à la truelle qui fonctionnent quand même. Vous voulez un
exemple ? Y en a devant vos yeux. Pour cette intro, j'ai bossé l'aspect vidéo indépendamment
de l'audio, j'ai juste fait en sorte que ça fasse à peu près la même durée à la louche, mais je
sais pas si tout est bien calé, je sais pas si c'est monté pour que ça ait du sens, et s'il
y en a, bah ça sera pas de mon bon vouloir, ça sera pas prévu. Ça sera peut-être nul, ça
sera peut-être génial, et c'est
justement cette possibilité qui m'intrigue aussi. Si ça se trouve
en fait, tout ce qu'on trouve génial, une partie ou bien tous les génies qu'on connaît, ne font que
faire des trucs par hasard, par accident. C'est dur à admettre ou même à concevoir parce qu'on a
cette idée depuis si longtemps que les génies sont ceux qui planifient tout à l'avance, qui arrivent
devant une feuille ou sur un plateau de tournage avec une idée, qu'ils vont appliquer précisément,
comme si tout ce qu'ils veulent
dans ce qu'ils créent est déjà dans leur tête. Et parfois c'est
l'inverse, on se retrouve avec un auteur qui improvise, mais qui improvise de manière géniale,
et je connais un réalisateur que j'ai longtemps considéré comme un génie, et que je considère
encore comme un génie, qui mérite peut-être un poil plus d'attention à ce niveau-là.
[Flow de bâtard oui la prod on l'embellie] [Flow de bâtard tu me vois comme un génie]
[J'ai plus de talent que tu ne penses] [J'envoie mon skeud si tu m'offen
se, yeah yeah]
- Et génie je prends l'exemple moi de Chaplin, qu'on considère comme un génie, qui est un mec qui
refaisait 200 fois la même prise. Donc il a passé la plupart de sa carrière professionnelle
à rater des trucs. C'est juste parce qu'il cherchait la chose qu'il voulait quoi.
- Pas les idées, les idées étaient bonnes. - Non non il cherchait les idées aussi, non
non, c'était un mec qui passait énormément de temps donc c'est tout sauf un génie, l'image
qu'on a du génie c'est un mec q
ui arrive… - Chaplin c'est un tâcheron ?
- Carrément. Ah ouais ouais ouais, un laborieux, bah ouais, et c'est
ça qui est intéressant en fait. Je pense pas avoir à vous expliquer qui est Steven
Spielberg. C'est le cinéaste le plus rentable de l'histoire, c'est le cinéaste qui a des dizaines
de films tous plus cultes les uns que les autres, c'est le cinéaste dont tout le monde a
probablement vu au moins un film dans sa vie et défends une certaine opinion dessus,
assez généralement positive. O
n a quasiment tous un Spielberg préféré, et ce même si on a
pas une haute opinion de lui, tout simplement parce qu'il a tout fait. Des films horrifiques
aux films d'aventures plus légers, des films de science-fiction aux films historiques, des films
épurés aux blockbusters, des films acclamés par les spectateurs aux films oscarisés et récompensés
de partout. Tout ça pour dire : C'est pas étonnant que Spielberg soit considéré par beaucoup comme
un génie. Cette vidéo ne va pas parler de ce qu
e Spielberg a fait, analyser ses films un par
un, décortiquer sa carrière, comprendre ce qu'il produit, blablabla on en aurait pour des heures et
des heures et je pense pas être qualifié pour ça, non. Spielberg a fait des succès commerciaux,
Spielberg a fait des excellents films, partons de ce postulat, ce qui m'intéresse n'est pas tant ce
qu'il y a devant la caméra que ce qu'il se passe derrière, sa méthodologie de travail, et non pas
sa manière de filmer mais sa manière d'appréhender le f
ait de filmer. On peut dire ce qu'on veut de
Spielberg, on peut ne pas l'apprécier, on peut ne pas aimer ses films, il n'empêche que je pense
qu'on est tous d'accord pour dire qu'il fait des films assez clairs, assez limpides, un truc qu'on
pourrait autant lui reprocher en disant que ça manque de subtilité ou de sobriété, mais c'est ce
qui le rends ultra accessible, et paradoxalement, irréplicable. Beaucoup ont tenté de copier son
style, peut-être à tort, de copier ses plans, de lui rendre
hommage, mais peu ont capté ce qui
fait que Spielberg est Spielberg. Je vous rassure, ça sera pas cette vidéo qui va vous
donner la clé pour le comprendre, mais je me dis qu'aller voir comment il approche
le tournage et la création peut être une première approche. Habituellement les "génies" dans son
genre on pense deux choses d'eux, soit que ce sont des personnes qui planifient tout, un peu à
la Fincher ou De Palma, soit ils sont tellement forts qu'ils arrivent à tout improviser, comme un
réflexe en somme, un peu comme Herzog ou Terrence Malick. Sauf que Spielberg, c'est le genre de
gars à faire les deux, parfois en même temps, parfois dans le même film. C'est un réal qui peut
faire des films storyboardés à mort comme des films à effets spéciaux qui passent par 200 étapes
intermédiaires qui doivent être planifiés où les décors, les personnages, tout est censé être créé
avant. C'est aussi un réal qui peut improviser des scènes entières qui deviendront cultes comme
la scène d
'introduction d'Il Faut Sauver Le Soldat Ryan. Le genre de scènes qui sont ensuite
analysées en cours avec un prof qui te parle du génie de Spielberg qui a tout prévu... Non c'est
pas du tout inspiré de la réalité... Peut-être un des plus gros exemples de cette flexibilité
c'est l'année 1993, probablement la pire pour Spielberg et en même temps la meilleure. En 1993,
les salles obscures étasuniennes accueillent deux films : Jurassic Park et La Liste de Schindler,
à 6 mois d'intervalle. Et o
n a d'un côté un film storyboardé à mort, presque à l'image près, qui
a besoin d'effets spéciaux donc il faut que tout soit planifié des mois à l'avance. Et de l'autre
côté, un film plus intimiste, plus terre-à-terre, où il ne faut pas avoir de grands mouvements
de caméra, et où il était possible de remettre en question ce qui était à tourner. Le jour il
tournait Schindler, la nuit il montait Jurassic Park. Presque deux facettes opposées du cinéma,
avec d'un côté un film à Oscars, de l'autr
e un film à billets. Et le pire c'est qu'il a refait
ça, plusieurs fois. 2011 : Cheval de Guerre et Tintin, un film où Spielberg était ouvert à la
critique et à l'improvisation, en contraste d'un film utilisant de la motion capture, le genre de
trucs où tu peux, et doit, tout régler au pixel près. 2018 : Ready Player One et Pentagon Papers,
tourné en imaginant les plans au jour le jour pendant que l'autre était en post-production.
Et évidemment je me dois de le préciser mais c'est pas humai
n, et beaucoup diraient que c'est
normal, le génie n'est pas humain, mais pour moi, ça va dans un chemin différent qui m'amène un peu
à requestionner c'est quoi un "génie". Réaliser deux films la même année c'est pas censé
être normal, c'est possible même si c'est pas recommandé, mais pouvoir improviser sur un
plateau comme ça, c'est pas normal non plus, c'est même assez hors-normes. Ça demande un
budget assez conséquent qui peut s'adapter à ce qu'on tourne, Spielberg était connu pour
touj
ours dépasser ses deadlines dans sa jeunesse, chose inadmissible dans certaines productions.
Mais surtout ça demande une équipe qu'on connaît et qui se plie à la situation. Le cinéma est un
art collectif après tout. On peut citer aussi un syndrome du survivant assez clair, on ne retient
que la dizaine de grands films fait par Spielberg, mais moins des films que l'histoire aura oublié,
soit parce que c'est des fours commerciaux, soit parce que c'est des échecs critiques. Spielberg
n'est qu'u
n génie sous un certain angle, avec une certaine équipe, et le budget qui suit. C'est
déjà énorme, et je pense que beaucoup rêveraient d'avoir un moment de génie typique de Spielberg.
Donc bon, l’appellation de génie, à relativiser, mais y a un truc qui m'intéresse, le truc qui a
commencé l'écriture de cette vidéo d'ailleurs. Spielberg parle alors de Rencontres du Troisième
Type, un de ses premiers gros blockbusters, et un film qu'il a storyboardé à mort, et là, il se
passe un moment que vo
us connaissez probablement si vous vous êtes déjà intéressé à Spielberg.
- Votre père était informaticien. Votre mère était musicienne.
Quand le vaisseau atterrit, comment ils communiquent ?
C’est une très bonne question. J’aime ça.
Vous avez répondu à la question ! Ils font de la musique par ordinateur,
et ils peuvent se parler. J’aurais adoré dire que j’avais prévu ça, que j’ai voulu parler de mon père et ma mère
mais je viens de m’en rendre compte ici ! Et évidemment cette interview elle cha
nge beaucoup
de choses. Quand on fait un film comme Spielberg, à fortiori un blockbuster comme Rencontres
du Troisième Type, on est censés penser à chaque aspect, les répéter 200 fois dans sa tête,
observer ses inspirations, se poser des centaines de fois la question de qu'est-ce qui nous amène
à parler de tel sujet pour ensuite le défendre, que ça soit à des producteurs, à son équipe ou à
des spectateurs. Et Spielberg, au vu de toutes les fois où il a pu utiliser des références et des
hom
mages, il sait faire de l'analyse filmique, et c'est la base de toute analyse que d'observer
le passé et le milieu de quelqu'un pour comprendre son art actuel et ce qu'il fait. J'interprète
peut-être mais, c'est quelque chose sur lequel il est revenu plusieurs fois, sa judéité l'a
amené à faire La Liste de Schindler et Munich, sa passion pour le cinéma des autres l'a amené à
faire des remakes comme Always ou West Side Story, son amitié pour Kubrick l'a amené à faire A.I.
Intelligence Artifi
cielle ou la mini-série Napoléon, son côté nerd l'a amené à faire...
plus ou moins toute sa carrière mais surtout des films sur-référencés comme Ready Player
One ou des films de geek comme Jurassic Park. Comment un tel "détail" a pu échapper à son propre
créateur ? Comment un réalisateur aussi méticuleux a pu laisser passer ça sans le voir ? Est-ce
que l'envie de faire un film autobiographique à peine déguisé avec The Fabelmans part de
cette interview ? Est-ce qu'il a eu le déclic à ce mome
nt-là ? Bon j'avoue ça fait beaucoup de
questions, je pense cependant qu'on peut garder une phrase de toute cette séquence : Une œuvre
dépasse son propre auteur. Le simple fait que le cinéma soit collectif fait qu'on additionne pas
le supposé talent ou le supposé génie de chacun, on les multiplie pour créer de nouvelles
choses qu'on ne peut pas prédire. Parce que c'est parfois inconsciemment, par hasard ou
par accident, qu'on fait des choses justes. Oups !
Que je suis étourdi ! Je n'avais p
as dans l'idée d'utiliser du rouge.
Mais j'ai pensé que ça pouvait rendre bien. Et aussi parce que j'en ai
mis sans faire exprès ! La scène correspond à ce que je voulais.
Ce qui n'était pas prévu, c'était ce rouge, qui apporte du relief au premier plan
et rend l'ensemble plus dramatique. Il se trouve que à côté de tout ça, je
connais une autre forme d'art dans lequel y a aussi des accidents, des imprévus, et
ces éléments imprévisibles méritent peut-être encore plus d'attention que Spielberg
...
[J'dérape en R1, j'pose, ça fait les teras] [404 bébé, y'a erreur, tu nous a
pris pour ces keumés tout péraves] [Fais gaffe, j'rappe, ouais, je les
terrasse, Digitalova la menace tenace] Le cinéma et le jeu vidéo ont un point commun dans
la manière de les créer. C'est une communication entre un groupe de créateurs plus ou moins
nombreux et des spectateurs, en passant par un ensemble d'outils électroniques et de machines
plus ou moins complexes, et c'est justement ces outils qui m'intére
ssent ici. Parce qu'on parle
assez peu souvent de tous ces techniciens qui ne sont pas que des exécutants, comme certains le
sous-entendent en distinguant les techniciens des "vrais artistes". C'est une vraie maîtrise qui
est nécessaire pour amener le film ou le jeu là où il faut, ou du moins là où il est censé aller.
Parce que oui, il y a souvent des couacs dans la création d'un film ou d'un jeu, ce qu'on pourrait
appeler plus communément un glitch ou un bug. Sauf qu'un jeu vidéo, de par l
'interactivité que le
médium implique, la complexité de sa création et le nombre de développeurs, c'est beaucoup
plus malléable, beaucoup moins prévisible. Et c'est là que la différence fondamentale entre
le cinéma et le jeu vidéo se terre : Là où il est assez rare d'avoir un bug dans un film, je ne
pense pas me mouiller en disant que 90% des jeux vidéo actuellement sur le marché ont des bugs.
Alors souvent c'est très minime, voir pas du tout visible pour la majorité des joueurs, ça peut êt
re
une texture sur un mur qui est un peu trop grande, une animation qui est cassée ou une sauvegarde
infinissable dans certaines conditions. Mais il n'empêche que la différence entre les deux
mediums est flagrante. Aujourd'hui les bugs ont la vie dure. Un jeu vidéo sera jugé sur ses
aspects techniques, la résolution, les FPS, parfois la lumière, les animations, les modèles
de personnages, et surtout, les bugs. Et les bugs sont vus unanimement comme quelque chose de
mauvais, et c'est encore
plus le cas aujourd'hui, sortez un jeu avec quelques bugs, même mineurs et
difficile à avoir, et vous vous ferez incendié, ce qui est quand même assez étrange. On comprends
qu'une animation soit un peu rudimentaire, que le jeu ait une baisse de framerate par endroits,
que la lumière soit pas parfaite partout, c'est un peu chiant mais c'est pardonnable, par
contre quand il y a un bug, là c'est inadmissible, c'est forcément un défaut. Alors j'ai envie de ne
pas voir le bug comme un ennemi, m
ais plus comme quelque chose qui existe, qui sera toujours là,
et qui n'est pas forcément si négatif. Le bug est deux choses à la fois : Une conséquence, et une
cause. Les conditions de production actuelles d'un jeu vidéo, que ça se passe bien ou mal, explique
la présence d'un bug. On peut parler du crunch, des burn-outs fréquents dans l'industrie, y
a déjà des tonnes d'articles sur le sujet, et évidemment que ça explique beaucoup de choses.
Mais j'ai aussi l'impression que cette présence d
e bugs est dû aux conditions même de création d'un
jeu vidéo. On a envie que le jeu fonctionne et au mieux il fonctionne, au mieux c'est programmé.
Sauf qu'en interne, rien ne se passe comme ça. Pour qu'un jeu vidéo fonctionne bien, il faut
ruser, dans Super Mario 64, le code, fait sur mesure pour le jeu, est efficace, carré, ce qui
a permis probablement plus de flexibilité au jeu, aux mouvements du personnage, à l'incorporation
des textures etc. Et parfois à l'inverse, le code est incompré
hensible parce que... bah y a pas eu
le temps, les gens sont pas assez familiers avec les outils, le jeu a été construit sur la base
de pleins de trucs et les technologies sont de plus en plus complexes. Dans Super Mario Galaxy,
(PROMIS LES AUTRES EXEMPLES ÇA SERA AUTRE CHOSE QUE DU MARIO), dans Super Mario Galaxy, tout
le jeu tient sur un modèle 3D de Champignon, retirez le Champignon et le jeu crashe, pour
une raison encore inconnue. Le bug c'est pas un truc qui apparaît par magie, mais o
n a un peu
l'impression que c'est le cas, y a quelque chose de surnaturel dedans. Mais le bug c'est aussi une
cause, un départ vers quelque chose de nouveau. Tous ces bugs dans des jeux ça peut être une base
pour être exploités, et de là des petits génies peuvent émerger. Dans Street Fighter 2, le fait de
pouvoir enchaîner des coups, de faire des combos, c'est un bug, c'est accidentel, ça a été laissé
là même après avoir été vu, en se disant naïvement que quasiment personne n'arriverait à l
es faire.
C'était pas le premier jeu à avoir des combos, mais la complexité de la chose, le fait que
ça soit si obtus à faire, ça a gravé dans le marbre le jeu et la licence Street Fighter.
Ce n'était plus qu'un simple bug, c'était une fonctionnalité. Les combos étaient comme des
petits secrets à trouver pour les joueurs de moyen ou de haut niveau, et c'est probablement ce
qui a mené à toute la scène e-sport sur le jeu. Et ce qui est marrant c'est de voir un accident
comme ça créer des gén
ies du jeu, des gens qui maîtrisent tellement bien un jeu qui n'est pas
censé exister dans sa forme actuelle. Évidemment il est impossible de ne pas parler des speedruns,
où les bugs, les glitchs involontaires, vont être utilisés pour gagner du temps. C'est rare de voir
un speedrun qui n'utilise pas des bugs, qui ne sorte pas des sentiers battus, qui n'exploite pas
des méthodes de déplacement un peu bizarres. Même sur des jeux censés être très carrés et assez
stables, on va trouver des murs
dans lesquels foncer pour se projeter en arrière, des skips
pour sauter des niveaux entiers ou encore des manières d'obtenir l'objet final au tout début
du jeu. On en est à un point où certains jeux vont même faire des blagues là-dessus, ou
du moins noter le fait que le joueur est en train de sauter une grosse partie du niveau.
Mais ces exemples sont assez rares, la réaction face à un bug de la plupart des développeurs
c'est de le corriger... enfin, oui, mais pas tout le temps. Pas tous le
s bugs sont réparés, et
j'avoue que je sais même pas si c'est volontaire ou si c'est tout simplement parce que certains
bugs sont impossible à réparer sans empiéter sur le reste du jeu. Dans Tears of the Kingdom, les
glitchs de duplication d'objets ont été patchés, mais d'autres bugs de mouvements des personnages
ont été conservés à l'heure où j'écris ces lignes. Encore une fois peut-être que l'un est plus facile
à patcher que l'autre, mais quand on sait que les développeurs du jeu se sont
inspirés de certains
glitchs de Breath of the Wild pour cette suite, je me demande si y a pas une partie des devs qui
apprécient voir ces glitchs, voire même qui les trouve assez marrants. C'est toujours fascinant
de voir des développeurs réagir aux speedruns de leurs jeux, la plupart du temps de manière assez
nonchalante, comme si ce genre de bugs n'étaient pas si grave. Et d'ailleurs, il est amusant, sans
mauvais jeu de mot, de voir à quel point les bugs peuvent nous faire rire. Il n'y a
qu'à voir
les réactions de youtubeurs ou streameurs pour le comprendre. Et c'est là que certains bouquins
sont à lier. Dans son essai Le Rire, le philosophe Henri Bergson donne ses théories sur pourquoi on
rigole à des choses. Aujourd'hui, l'héritage du livre c'est la phrase "Il n'y a pas de comique
en dehors de ce qui est proprement humain", mais ce n'est qu'une partie de ce que Bergson
développe. "Est comique tout arrangement d'actes et d'événements qui nous donne [...] l'illusion
de la
vie et la sensation nette d'un agencement mécanique." En gros, la base de tout rire selon
lui, c'est le contraste entre le mécanique et le vivant. C'est le comique de répétition, donc
un humain qui agit de manière mécanique, ça peut être aussi un homme qui tombe, donc un humain
qui réagit à un phénomène mécanique, la gravité, ou encore un robot qui agit l'espace de quelques
instants comme un humain. Et est-ce que finalement les bugs c'est pas ça ? Une machine qui essaye
d'être aussi mécaniq
ue et claire que possible, mais qui révèle sa part d'humanité et de "fait
main". On peut aussi voir les bugs comme un humain qui communique avec un ensemble d'outils
mécaniques, qui essaye d'y insuffler de la vie, mais qui parfois n'y arrive pas pleinement. Mais
les bugs procurent bien plus d'émotions que le rire. On peut citer plein d'exemples de bugs
devenus beaucoup plus connus et qui ont dépassés leurs statuts de simple bugs. Peut-être un des
tout premiers bugs : Dans Space Invaders, pl
us vous éliminez des aliens, plus les aliens restants
descendront vite, avec la musique qui s'accélère, et ça, c'est juste l'ordi dans la machine qui a
de l'espace et qui peut aller plus vite. C'est pas totalement volontaire mais c'est resté là,
et certains développent même que c'est à la base de l'interaction entre musique et gameplay dans
le jeu vidéo. En tout cas ça procure du stress, de l'anxiété, de l'anticipation et du challenge de
voir ces aliens aller de plus en plus vite. Autre exe
mple : Les creepers dans Minecraft, de base
les développeurs voulaient juste faire un cochon, mais ils ont inversés les axes et ça a donné
cette forme si particulière, et aujourd'hui bah... c'est le visage de Minecraft. On peut d'ailleurs
dire la même chose du Spy dans Team Fortress 2, c'est juste un glitch de changement d'équipe qui
deviendra une des classes les plus connues du jeu. Dernier exemple un peu plus esthétique : Dans
Kingdom Hearts 2, lors du combat secret contre Sephiroth, il p
eut vous lancer une attaque
avec des flammes, et bah dans la version HD, ces flammes sont bien plus sombres, avec une sorte
de texture noire par dessus. C'est probablement un bug graphique, et c'est vachement plus cool on
va pas se mentir. Les bugs sont aussi parfois un peu plus esthétique que ce qui était voulu. Je me
rappelle qu'un des premiers bugs que j'ai pu voir dans un jeu vidéo c'était sur Sonic 2, où en
faisant un tas d'opérations un peu chiantes, on peut changer la couleur du héri
sson bleu
pour qu'il soit noir et vert. C'est tellement classe que la communauté a décidé de lui donner
un nom, Ashura, et ça a été la base de certains personnages plus tard dans les comics. Et ça
m'amène à un point, les joueurs acceptent de plus en plus la présence de bugs, et donc, les
créateurs peuvent commencer à en jouer. Le bug est devenu une esthétique, un peu comme la neige
pour la télévision ou les aberrations chromatiques en photo et au cinéma, certains jeux, mais pas
que, jouent
avec les bugs. Des jeux où il faut volontairement foncer dans un mur pour accéder
à la suite, voir même jouer avec les fichiers du jeu. Des moments où le jeu brise le quatrième mur,
un peu comme quand un acteur regarde directement la caméra. Alors ils sont très très très rares
pour l'instant, mais on peut déceler deux points communs : Déjà ce sont souvent des jeux vidéos
indépendants. Si ces glitchs utiles sont rares, ils le sont encore plus sur les grosses
productions. Y en a quelques-uns
hein, le fait d'aller par dessus le niveau dans Mario, la jauge
de santé mentale dans Eternal Darkness qui efface ta sauvegarde, l'épouvantail dans Arkham Asylum
qui imite un crash de la console, globalement l'entièreté de NieR: Automata, plein de moments
dans la saga Metal Gear Solid, mais... bah je crois que j'ai tout cité, si jamais vous en avez
d'autres en tête, n'hésitez pas à les mentionner, mais les exemples sont très rares en comparaison
avec les jeux indés. Est-ce que c'est une ma
nière de dire qu'on accepte un peu plus des bugs de
la part des jeux indés mais moins quand c'est un AAA ? Est-ce que le joueur est moins décontenancé
? Difficile à dire, d'autant plus que la majorité de ces titres qui exploitent des glitchs sont des
jeux PC, là où il est plus favorable de comprendre que ce genre de bugs est intentionnel. Mais le
deuxième point commun, plus intriguant, c'est le fait que la majorité de ces jeux utilisent des
glitchs intentionnels pour créer de l'horreur, ou
du moins quelque chose qui est perçu comme
déroutant, angoissant. Quand les glitchs ne font pas rire, parfois, ils effrayent. C'est d'ailleurs
la base de pas mal de creepypastas, ces petites histoires d'horreur sur les jeux vidéo qui parlent
de cartouches hantées vont parfois titiller sur des jeux qui sont buggés, qui ne fonctionnent pas
comme prévus. Et le serpent s'est mordu la queue quand ces esthétiques se sont retrouvés dans des
vrais jeux vidéo. Le concept même des backrooms, c'est de
mettre du glitch dans la vraie vie, mais
on le retrouve dans plein de titres horrifiques indés. On a peur de fouiller les fichiers de Doki
Doki Litterature Club, de l'inachevé de Petscop, du cryptique de Flowey ou de Gaster dans
Undertale, ou de la subversion de certains jeux en .exe comme Sonic.exe ou Essence.exe. Mais
pourquoi ? Un jeu qui bugge fait peur ? On a peur de l'inachevé, des choses qui ne se passent pas
comme prévu ? Je me dis que y a peut-être un peu plus à creuser de ce côté
-là. Quand on bugge, on a
l'impression de sortir des carcans de la création, de sortir des intentions de base du jeu, et en
quelque sorte de communiquer avec un élément qui dépasse l'auteur même de l’œuvre. Une sorte de
fantôme dans la machine qui n'est visible que par nous, et dont on ne pourra pas forcément parler
aux autres. On voit un peu trop les ficelles, on voit trop comment ça fonctionne derrière le
rideau du magicien, à un point où ça nous dépasse, ça nous décontenance, que ça proc
ure de la
peur ou du rire inexplicable. On fait de l'interprétation sur ce que ça aurait dû ou ce que
ça aurait pu être, et au final... est-ce que c'est forcément la chose à faire ?
[J'ai d'la mauvaise haine, la rue a fait d'nous des mauvaises graines]
[J'connais les traîtres et le mauvais œil] [Leur ont fait pousser la mauvaise herbe]
"Ceci n’est pas un forum de discussion générale." "Si vous voulez parler
tranquillement, allez ailleurs." "Merci."
En 2019, Jacob Geller, un vidéaste étasunien
sort une vidéo sur un
mystère entourant Shadow of the Colossus. Je ne peux que vous conseiller d'aller la mater (en
plus normalement elle est sous-titrée). La vidéo traite du travail de toute équipe pour débusquer
un trésor caché dans Shadow of the Colossus, quelque chose qui dépasserait le jeu tel qu'il
nous est présenté. On y voit aussi le travail acharné pour savoir comment le jeu a été fait
avec évidemment quelques glitchs et manipulations du jeu. Mais s'il fallait conclure quelque cho
se
de toute cette quête pour trouver un secret dans Shadow of the Colossus, de ses maintes tentatives,
et de cette recherche pas si inutile, c'est que nos yeux voient des choses qu'on a envie de voir.
On sur-analyse, on lie des choses qui n'ont aucun lien logique à première vue, on explique, sans
vraie raison autre que "c'est ce que je souhaite". La théorie me plaît donc elle est forcément
vraie. Ça va même nous forcer à l'analyse, à la déconstruction de ce qu'on aime, de ce qui nous
fasci
ne, et nous donner encore plus d'admiration pour ses créateurs. On se dit que si on le voit et
si ça nous paraît aussi évident, c'est forcément voulu. C'est de là que naissent certains génies
il paraît, sauf que... et si... et si c'était pas le cas ? Et si ces génies qu'on admire étaient
nés d'accidents, de moments d'égarement où les réflexes ont pris le dessus pour donner quelque
chose de plus instinctif ? Et si vouloir tout contrôler n'était pas la bonne solution ? En
2011 sort le documen
taire Fucking Kassovitz, sur la création d'une œuvre que son réalisateur
admettra lui-même avoir raté pour plein de raisons expliqués dans le docu. Et tout comme la vidéo de
Jacob Geller, je ne peux que vous conseiller ce docu (certains disent qu'il est sur Dailymotion).
Le film s'ouvre bien loin dans le tournage alors que Kassovitz réalise le mur dans lequel il fonce,
avec cette réplique, "Je ne suis pas Orson Welles, je ne suis pas Steven Spielberg, je suis Fucking
Kassovitz", sous-entend
u, je ne suis pas un génie, je ne suis qu'un homme qui voulait faire les
choses bien. Parce que c'est ce qui déborde dans ce documentaire, que Kassovitz voulait faire les
choses bien, il voulait que tout soit bien fait, que tout fonctionne. Et évidemment la réalité l'a
rattrapé, et ça a donné un projet raté. M'est avis d'ailleurs que si les choses s'étaient bien passés
ça aurait pas non plus donné un chef-d’œuvre. Kassovitz s'est foiré, ça arrive à tout le
monde, et après tout c'est qu'un f
ilm. Mais c'est pas que pour ça que j'ai envie de vous parler de
ce docu. J'en parle parce que c'est un exemple parfait de ces moments où on voit quelque chose
qui n'existe pas, qui n'est pas voulu, qui a été créé par hasard. À un moment, l'actrice Mélanie
Thierry explique qu'elle a toujours voulu tourner avec Mathieu Kassovitz et qu'elle quitterait
le plateau si elle apprenait qu'il n'était pas présent au tournage, et il se passe ça :
- Je leur ai juste dit que je tournais pas si Mathieu ét
ait pas là. J'ai signé un contrat avec
Mathieu Kassovitz j'ai pas signé un contrat avec Kenny je-sais-pas-comment, et... et tant Mathieu
n'est pas viré c'est avec Mathieu que je tourne donc on me fait pas tourner avec quelqu'un d'autre
et je me fais pas diriger par quelqu'un d'autre. Et, faut pas vous moquer hein vraiment
j'étais jeune quand j'ai vu le docu, mais j'ai toujours cru que les pleurs de bébé qu'on
entends, qui est de toute évidence son enfant, c'était un truc rajouté par le réal
isateur pour
se moquer de l'actrice, un truc qui n'était pas vraiment là au tournage. Mon cerveau malade n'a
jamais fait le lien entre les pleurs d'un bébé et le fait que l'actrice est VISIBLEMENT en train
de chercher quelque chose délicatement à l'écran, ce n'est que bien plus tard en revoyant le docu
avec des gens qu'ils m'ont dit "Mais tu n'es pas très malin Paf"... Bon ils ont dit que j'étais
complètement con mais l'idée de base de cette interprétation reste là. Je sais que c'est pas ce
qui était voulu, je sais pas si le réalisateur en avait contre l'actrice mais en tout cas je sais
qu'il l'aurait probablement pas fait comme ça, je sais que c'est pas du tout intentionnel,
et que le réal n'a peut-être jamais vu ça comme ça même dans la salle de montage,
je sais qu'en soit ça veut rien signifier sur la relation entre les deux personnes, enfin
bref, je sais que c'est pas ce qu'il se passe, mais vous savez quoi ? Je pense que je m'en fous.
Je crois qu'il faut commencer à s'e
n foutre un peu de ce qu'on est censé voir ou ressentir devant
une œuvre et plus dire ce qu'on ressent vraiment, que ça soit intentionnel ou pas. J'irais même plus
loin en disant que certains spectateurs, certains joueurs, connaissent mieux les films qu'ils voient
ou les jeux qu'ils jouent que leurs créateurs. En particulier quand l’œuvre en question a déjà
plusieurs années, que certains l'ont digéré, l'ont vu et revu, en ont parlés à d'autres, et
l'ont décortiqués sous toutes ses coutures.
On parle parfois d’œuvres avec des centaines de
créateurs, et des dizaines de millions d'euros en jeu, ça me paraît pas déconnant que parfois les
choses communiquent mal et que des artistes soient surpris de leurs propres œuvres, alors pourquoi
pas être surpris par des spectateurs. Lorsque des speedrunners parlent avec des développeurs
d'un jeu et leur explique comment leur propre jeu est fait, il y a un vrai échange, une
communication entre un aficionados et un créateur, mais pas une disc
ussion asymétrique, les
deux sont sur un même pied d'égalité, parce que les deux ont des choses à dire. C'est la
même chose quand un expert donne son analyse sur une peinture un peu trop abstraite pour les yeux
du public, il l'a vue sous toutes ses coutures, et il est même possible qu'il l'ait plus vue que
l'artiste qui l'a faite. Il s'approche du génie, même si bon... ça existe toujours les génies ?
Si les artistes qu'on admire ont peut-être tous fait les choses par hasard, est-ce que ça e
xiste
vraiment les génies ? J'ai commencé cette vidéo avec un dicton marrant, je vais finir par un autre
que je trouve très drôle aussi : Mettez un singe dans une pièce pendant un temps infini, et à un
moment, il sortira une pièce de Shakespeare. C'est mathématiquement vrai, ça va probablement prendre
des milliards de milliards de milliards d'années, mais ça peut arriver un jour. Est-ce que c'est
pas ça la création ? Est-ce qu'on est pas tous des singes sur des machines à écrire avec la
pr
étention d'un jour sortir quelque chose de bien par accident ? Je pense que non. Je sais pas
si des génies existent, mais je sais que malgré ces accidents qui sont inévitables, on choisit ce
qui reste, on choisit ce qu'on montre, on choisit ce que le public verra. On ne montre que ce
qu'on veut montrer de soi, et ce même si parfois y a des trucs qu'on ne peut pas prévoir. C'est
peut-être pas là que les "génies" se trouvent, mais c'est là qu'on peut différencier les bons
des mauvais, ou du m
oins ce qu'on apprécie de ce qu'on aime moins. Parce qu'avoir une idée
c'est super, mais à moment, il faut la montrer, et c'est ça aussi l'acte de création, il faut voir
les choses pour ensuite pouvoir les confronter à ses propres idées de ce qu'on a fait, et si
l'art ne servait qu'à ça, ça serait déjà super. Qu'est-ce que c'est avoir une idée au cinéma
? Tout le monde sait bien qu'avoir une idée c'est un événement rare. Ça arrive rarement.
Avoir une idée c'est une espèce de fête. Alors vou
s comprenez quand on a une idée comme ça la
question est pas de savoir si elle est vraie ou si elle est fausse. La question est de savoir si
elle est importante, intéressante et si elle est belle. Et c'est la même chose en science, c'est
la même chose en philosophie vous savez... On vit à une époque où tout accident est
à éviter,certains pour de bonnes raisons, d'autres plus discutables. Les bugs des jeux
vidéo, son passé, les gaffes de tournage sont corrigés en post-production et généralem
ent rien
n'est laissé pour constater ses erreurs. Il faut peut-être mettre un peu d'accidentel, un peu
de hasard pour faire les choses différemment. Ne pas être parfait pour donner un truc
nouveau. Alors pour la fin de cette vidéo, je vais faire ça. Je vais lancer une pièce, que
vous voyez là avec des trois angles de la caméra, même s'il y en a, ils sont loin et tout machin,
vous avez compris quand même, c'est une pièce, et si ça tombe sur pile, j'éteins toutes les
caméras et je vais aller
me coucher pendant que y a le générique et tout machin. Et si
ça tombe, surface, eh bien je sors et je vous laisse tout seul avec la fin. Voilà. Allez ! Et
bien c'est tombé sur pile. Du coup, au revoir.
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